La construction politique du toxicomane dans l'Argentine post-autoritaire: Un cas de citoyennete a basse intensite

Le but de cette thèse est d'analyser de quelle manière et pour quelles raisons, dans l'Argentine post-autoritaire, l'usage personnel de drogues illicites a été érigé en affaire d'État. Pour ce faire, j'ai entrepris une étude des pratiques—tant discursives qu'institutionnelles—qui s'articulent autour du fait toxicomaniaque. C'est en effet l'existence des toxicomanes qui justifie l'élaboration de politiques publiques de lutte contre la drogue, caractérisées avant tout par un faible respect des droits et libertés. Mon objet d'étude n'est donc pas le toxicomane à proprement parler, mais plutôt les enjeux politiques qui le définissent et les procédés de domination qui en découlent.

L'hypothèse générale étant que le fait toxicomaniaque est investi par les instances chargées de le contrôler, la démonstration est axée sur une analyse des procédures d'objectivation que ces instances mettent en oeuvre. Le plan de cette démonstration suit logiquement le découpage de l'objet d'étude. Dans un chapitre préliminaire, j'examine les principales interprétations du phénomène toxicomaniaque d'un point de vue strictement politique, ce qui me permet d'expliquer et de justifier la pertinence de l'approche théorique et de la méthodologie choisies. Par la suite, la première partie analyse les statistiques officielles en matière d'usage de drogues et la manière dont elles ont été élaborées. Cette partie sert à démontrer que: (a) les mesures statistiques constituent un des mécanismes d'objectivation de la consommation de drogues et (b) les décisions prises dans le cadre de la lutte contre la toxicomanie ne le sont pas en raison d'une situation d'urgence. Une fois écartée cette dernière possibilité, qui constitue aux yeux de certains le fondement logique des politiques anti-drogue, j'examine des mécanismes bien plus concrets de désignation des individus en tant que toxicomanes. La deuxième partie de la thèse porte ainsi sur les opérations policières de repérage et de catégorisation des consommateurs, qui vont déceler chez ces derniers les signes d'une toxicomanie “bien établie” ou “potentielle”. Cette nouvelle identité n'est pas une illusion. Elle justifie l'application de sanctions administratives dont le sujet doit endosser la responsabilité. Ce processus de désignation se poursuit dans la sphère du droit. En effet, les usagers amenés devant les tribunaux sont soumis à un autre système d'identification et de contraintes, prévu par la législation et mis en oeuvre par les juges et les experts. La troisième partie de la thèse est donc consacrée à son étude. Il y est question de l'introduction de l'interdit législatif, de l'application des mesures de sûreté et du développement de la filière thérapeutique, c'est-à-dire de l'ensemble des ressources symboliques et matérielles permettant de qualifier un individu de toxicomane et de l'assujettir à cette identité. Ces opérations de marquage et de contrôle sont indispensables pour que la toxicomanie acquière un caractère de réalité et devienne une préoccupation généralisée. (Abstract shortened by UMI.)

Alternate abstract:

The aim of this thesis is to analyze how and for what reasons, in post-authoritarian Argentina, the personal use of illicit drugs has been established as a matter of state. To do this, I undertook a study of the practices—both discursive and institutional—that revolve around the fact of drug addiction. It is in fact the existence of drug addicts that justifies the development of public policies for the fight against drugs, characterized above all by weak respect for rights and freedoms. My object of study is therefore not the drug addict strictly speaking, but rather the political issues that define him and the processes of domination that result from them.

The general hypothesis being that the drug addiction is invested by the authorities in charge of controlling it, the demonstration is centered on an analysis of the procedures of objectification that these authorities implement. The plan of this demonstration logically follows the breakdown of the object of study. In a preliminary chapter, I examine the main interpretations of the drug addiction phenomenon from a strictly political point of view, which allows me to explain and justify the relevance of the theoretical approach and the methodology chosen. Subsequently, the first part analyzes the official statistics on drug use and the way in which they were compiled. This part serves to demonstrate that: (a) statistical measures constitute one of the mechanisms for objectivating drug consumption and (b) the decisions taken in the context of the fight against drug addiction are not taken because of an emergency situation. Having ruled out this last possibility, which in some eyes constitutes the logical basis of anti-drug policies, I examine much more concrete mechanisms for designating individuals as drug addicts. The second part of the thesis thus focuses on police operations to identify and categorize consumers, which will detect in them the signs of “well-established” or “potential” drug addiction. This new identity is not an illusion. It justifies the application of administrative sanctions for which the subject must assume responsibility. This designation process continues in the sphere of law. Indeed, users brought before the courts are subject to another system of identification and constraints, provided for by legislation and implemented by judges and experts. The third part of the thesis is therefore devoted to its study. It is about the introduction of the legislative ban, the application of safety measures and the development of the therapeutic sector, that is to say all the symbolic and material resources making it possible to qualify an individual as a drug addict and to subject him to this identity. These marking and control operations are essential for drug addiction to acquire a reality and become a general concern. (Abstract shortened by UMI.)